Histoires roumaines

J'ouvre la boîte à souvenirs par quelques anecdotes d'un voyage en Roumanie au milieu des années 80...

Le mur de Berlin n'est pas tombé, Ceausescu tient encore d'une main de fer Carpates, Transylvanie et embouchure du Danube.

Au commencement d'un beau mois d'août,  une superbe Talbot Solara bleu nuit occupée par une intrépide famille française franchit les frontières ouest-allemandes, autrichiennes puis hongroises.
La Roumanie n'est plus qu'à quelques encablures quand, soudain, une longue file de véhicules bouche la chaussée...

Qu'est-ce donc ?

Autant le passage en Hongrie, pays pourtant situé dans le suspicieux bloc soviétique, ne s'avérera guère différent que de passer d'un pays de la CEE à un autre, autant les douanes roumaines s'ingénieront à chercher la moindre faille dans le CV comme dans les bagages de l'insensé candidat au paradis roumain.

Ça n'avance pas ! Je crains qu'il ne faille dormir dans la Simca...

Un véhicule nous double et passe en trombe.
Ce manège se répète régulièrement alors que la nuit tombe.

C'est bizarre, ils sont tous immatriculés à l'ouest !

Nous finissons par comprendre que, dans des pays prônant pourtant l'égalité absolue, certains ont plus de droits que d'autres, surtout s'ils apportent leurs précieuses devises au pot d'une économie exsangue d'années de rêve communiste.

Nous nous engageons donc dans la courte fil des privilégiés exemptés d'une fouille intégrale et d'un interrogatoire poussé.

Je crois que je n'ai jamais revu depuis à une frontière autant de voitures désossées juste pour y découvrir un livre interdit, trop de provisions ou une caricature de Poutine ( euhhh Staline) !

Bienvenue en Roumanie...

#Roumanie

Quelques vieux clichés argentiques en attendant la suite !

                 

       





 

L'heure d'un premier déjeuner sur les terres de Vlad Tepes...

Le Guide Bleu nous indique une possibilité de restauration dans un tout proche village,  nous roulons jusqu'à l'adresse indiquée.

La gargotte ressemble à une vieille cantine scolaire modèle self-service en plus déglinguée.

Les assiettes sont en fer blanc, le plat unique.
Une bière incolore est la seule boisson proposée hormis l'eau du robinet.

L'employé s'empare de sa louche, la plonge dans sa casserole et en ressort un brouet  de choux et de gras de porc noyé dans une sauce aussi liquide qu'indéterminée.

Ma grand-mère tire la tronche, mes parents essaient d'en rire, je commence à regretter les improbables pois fluos, les immondes sandwichs banane-mayo et les abominables tremblants au menu de mes 3 dernières semaines de stage linguistique en Irlande...

Autant vous dire que la gastronomie ne sera pas au rendez-vous de ce périple au pays du chou et du néant !

Nous aurons au mieux une pêche talée ou un chocolat sans cacao comme dessert, l'éternel chou blanc accompagné de porc en plat principal ou alors des abats.

Pourtant,  les restaurants "normaux" que nous fréquenterons par la suite possédaient tous d'alléchantes et nombreuses propositions.
Mais dès que le client passait commande,  l'invariable réponse était " Il n'y en a plus !"
D'où l'éternelle question suivante : " Mais qu'avez-vous ?"

Je pense que vous aurez deviné la suite... Du chou !

Pour varier les plaisirs,  une unique solution, descendre faire ses provisions dans les boutiques en devise des  grands hôtels...
Là, biscuits, confiseries et autres délices non prévus au plan quinquennal du grand frère soviétique s'échangeaient contre de solides francs, dollars, livres sterling.
Vous pouviez même vous offrir un frigo design allemand,  une chaîne Hi-fi dernier cri britannique, un paquet de cancéreuses américaines !
En lei, en revanche, rien en rayons au presque...
Autant dire qu'une fois de plus, l'inégalité régnait au pays des égaux !

J'avoue que les voyageurs écourteront d'une journée leur séjour roumain par lassitude de leurs menus .

La frontière yougoslave franchie, nous nous précipiterons ainsi dans le premier magasin rencontré et nous serons surpris de la richesse des rayons.
Un sas de décompression avant de retrouver l'abondance occidentale !

Des choux au sous, le lien se tient à un cheveu près...

Comme indiqué dans les précédents posts, un voyage aux pays des soviets ne s'improvisait pas sans devises.

Et pas de la monnaie de singe comme le rouble ou le mark est-allemand !

Cependant,  il fallait tout de même remplir son portefeuille de quelques lei pour régler restaurants, musées et autres menues dépenses.

Le Conducator dans sa folie avait imaginé que 100 francs équivalaient à 100 lei ( C'est un ordre d'idée ma mémoire ne va pas jusque là ! ).
À ce taux là,  le foie de porc était vendu au prix du foie gras et l'Islande n'avait plus qu'à se rhabiller comme pays le plus cher d'Europe...

Le citoyen roumain, plus réaliste, proposait d'échanger ses économies à 700 lei pour 100 francs . La soupe au choux retrouvait son juste prix !

Le change au noir fut donc un passage obligé durant ce voyage comme il l'est toujours, me semble-t-il, dans les derniers pays de cocagne marxistes que sont Cuba et le Venezuela...

Pas d'entourloupes à prévoir,  le client est roi .

Voilà ainsi le visiteur occidental au centre de toutes les attentions des locaux et en toutes situations !

A la plage, au restaurant,  dans la rue...

La première fois, c'est surprenant et puis on s'y habitue !

Le serveur du restaurant en prenant la commande : Je vous propose aujourd'hui 712 lei. Vous en voulez combien ?

Le dîneur : pour 500 francs.

Les billets sont acheminés sur la table sous les serviettes.
Le client vérifie que le compte y est, mange puis glisse son Pascal avec l'addition ...

Les francs n'étaient d'ailleurs pas le seul moyen de se procurer des lei ou tout autre produit local.

Vous pouviez repartir en slip du pays si l'envie vous en prenait...

Les jeans étaient tout particulièrement appréciés mais n'importe quel objet estampillé à l'ouest avait là-bas le goût inestimable du luxe et de l'interdit  !

Après la visite d'un grand magasin local, vous compreniez vite pourquoi...

La Solara a soif.
Plus aucune gorgée d'essence plombée depuis la Hongrie, son réservoir est presqu'à sec ...

Ça tombe bien, il devrait y avoir une station-service dans quelques kilomètres !

Nous apercevons bientôt une longue, très longue file de véhicules garés sur le bas côté. 
De temps en temps, un trou.
Vite comblé par le propriétaire de la Dacia suivante, opportunément revenu avancer à la force de ses bras son carosse d'un autre âge...

La queue s'étire jusqu'aux pompes, nous pressentons que faire le plein relève de l'expédition pour un roumain.

Mais nous commençons désormais  à  bien saisir toutes les nuances du mot égalité en terre communiste...

Nous remontons donc toute la file puis nous nous garons devant l'employé.

Le touriste paie en devises via de petits coupons préalablement achetés.
Pas d'attente, pas de restrictions pour lui...

La Solara étanche sa soif, nous repartons.

Nous apprendrons plus tard que les locaux n'ont droit qu'à quelques litres par mois du précieux liquide.
On comprend mieux l'omniprésence des charrettes à cheval en Roumanie...

Puisque nous en sommes à discuter voiture, parlons du parc automobile roumain.

C'est simple, il n'y a qu'un type de véhicule : la fameuse Dacia 1300, une copie de la Renault 12, soit un modèle de quasi 20 ans auparavant...

Les options ne sont même plus une option, il semble ne pas y en avoir .
Hormis peut-être la couleur...

Autant dire que la Solara, pourtant peu attractive,  fait ici figure de Ferrari et attire tous les regards.

Un objet de luxe exposé dans les rues de Bucarest autour duquel tournent les passants détaillant le moindre signe extérieur de modernité !

Ohhh, regardez,  elle possède une horloge !

Ahhhhh, un auto-radio !

La Talbot rougit puis se pavane.
Roumain, mon beau Roumain,  dis moi qui est la plus belle ?

Une rutilante moto se gare en pétaradant. Un couple d'italiens récupère son bardas et abandonne sa monture sur le goudron.

En une seconde, voilà la Solara déchue de sa couronne de Miss Occident....

Vous aurez compris que mon cerveau a principalement retenu de cette escapade en Roumanie le côté voyage derrière le rideau de fer.

Pour une adolescente occidentale, c'était franchement sidérant toute cette grisaille, ces vies de débrouille, ce manque total de produits dans les rayons.

Une seule chaîne à la télévision qui ne commençait ses programmes que dans l'après-midi et proposait principalement des reportages à la gloire du chef...

Une seule publicité sur les affiches, le pourtant peu charismatique Nicolae Ceaușescu.

La page s'est tournée en 1989 puis, en 2007, la Roumanie est entrée dans l'Union Européenne.

Qu'est-elle devenue aujourd'hui ?

Une idée de prochain voyage !